Oscar Niemeyer
Vendredi 16 mai 2025Conférence animée par Frédéric Chasseboeuf,
historien, spécialiste de l’architecture

Oscar Niemeyer, un architecte emblématique du XXe siècle
Comment le style de cet architecte brésilien a-t-il influencé la ville de Royan lors de sa reconstruction?
Une trajectoire singulière
Origines et formation
Oscar Niemeyer, cette figure majeure de l’architecture moderne, a traversé tout le vingtième siècle, il est né en 1907 et décédé en 2012 à Rio de Janeiro.Très tôt, il connaît une carrière internationale.
Il est issu d’une famille de la petite bourgeoisie (son père était graphiste), et appartient à une fratrie de six enfants. Son nom complet est Ribeiro de Almeida de Niemeyer Soares, patronyme qu’il réduit à Niemeyer, celui de sa grand-mère, une immigrée allemande.
Les premières œuvres et l’avant-garde
Il sort diplômé en 1934 de l’École des Beaux-arts, qu’il juge trop traditionaliste. Il s’intéresse donc à ce qui va être l’architecture de demain, vers les maîtres de l’avant-garde de ces années 30, en particulier au fondateur du Bauhaus Walter Gropius, à Mies van der Rohe et à Frank Lloyd Wright. En 1936, il choisit d’effectuer un stage gratuit chez Lúcio Costa, un architecte à la sensibilité avant-gardiste et c’est à cette occasion qu’il va rencontrer des personnages comme Le Corbusier. Avec eux, il participe à la conception du nouveau siège du ministère de l’éducation et de la santé à Rio de Janeiro. Très vite, en 1937, il signe dans cette ville sa première œuvre : une crèche. Au début des années 40, le maire de la station balnéaire Belo Horizonte lui confie la réalisation du complexe de Pampulha; il pose alors ses propres marques et construit ainsi les éléments essentiels d’une station balnéaire : un casino, une salle de bal, l’église Saint-François d’Assise; cette dernière rompt avec le style international de Le Corbusier, avec ses paraboles ondulées.
La consécration internationale
Grâce à cette opportunité et alors que la guerre sévit en Europe, il est la star de l’exposition consacrée à l’architecture brésilienne au musée d’Art Moderne de New York dont il est déjà le marqueur alors qu’il n’a pas dix ans de carrière. Son projet fait l’objet d’une publication en France dans un numéro de l’Architecture d’Aujourd’hui de 1946 dans lequel figure l’Unité d’habitation à Marseille de Le Corbusier.
Niemeyer et Brasilia : une ville rêvée
Une capitale née de rien
Dans les années 50, il joue un rôle majeur dans la création de Brasilia, une capitale et une capitale qui est entièrement pensée. C’est un terrain de jeu extraordinaire, il jouit d’ une liberté totale : la ville sort de nulle part, il n’y a pas d’aspect réglementaire d’un espace urbain déjà construit. Le plan de la ville est confié à Lucio Costa . Oscar Niemeyer, lui, est chargé des principaux bâtiments publics. Il accède alors à une notoriété mondiale.
Un vocabulaire architectural unique.
Il allie une référence de style international à une tropicalisation du vocabulaire. Sa touche est tout en rondeur avec des patios, des structures très souvent autoportées, qui sont posées comme des objets, il travaille avec le béton armé va permettre cette prouesse.
La cathédrale de Brasilia : on a, non pas de structures très angulaires, très raides comme chez le Corbusier. Ici on a une autre vision avec une architecture très légère, des grands mouvements, des courbes, des effets de transparence, un clocher qui est à côté de l’édifice, qui est là comme un objet toujours déstructuré de la partie sacralisée. L’intérieur offre une très grande luminosité; la simplicité de cet espace nécessite un travail très juste avec les proportions, elle demande une très grande technicité et un appui sur celui des ingénieurs .
Cathédrale de Brasilia, une structure hyperboloïde, photo AMS
Église saint-François d’Assise, Belo Horizonte, Brésil, photo AMS
Une architecture engagée
De l’exil politique à la reconnaissance internationale
Une autre raison, politique cette fois, va contribuer à donner à sa carrière une dimension internationale. La dictature arrive en 1964. Contraint à l’exil en France, (il est membre du parti communiste), il se voit confier la construction du siège du Parti communiste place du Colonel Fabien. Il repart au Brésil en 1985 où il poursuit son œuvre.
Ce qui est remarquable dans la carrière de cet architecte c’est qu’il exerce son influence dès le tout début de sa carrière comme on le voit par exemple à Royan. Ceci s’explique en particulier par le rôle joué par le catalogue de l’architecture, c’ est un outil de référence, de réflexion pour les architectes, on fait circuler les modèles. Une fois que la guerre s’est arrêtée, il faut reconstruire, tout s’était arrêté.
Contexte historique de la reconstruction de Royan
Deux points importants sont à noter pour cette reconstruction de Royan .Tout d’abord, il s’agit d’une station balnéaire dont le rythme de vie s’adapte à cette fonction. Or la première œuvre de Niemeyer est la réalisation d’une ville balnéaire. Ensuite, lors de la reconstruction, les crédits vont être accordés à tout ce qui va pouvoir faire redémarrer l’économie. On va donc rêver sur le papier et à Royan, on a de jeunes architectes qui vont s’emparer de certaines propositions tout en insufflant leurs propres principes.
Royan et l’influence d’Oscar Niemeyer
La chapelle de Pampulha : un tournant esthétique
Cette église se démarque par ses courbes, avec ses quatre paraboles en béton ondulé,dont le dos est orné de mosaïques extérieures. Le clocher, construit à part, est relié au bâtiment par un voile de béton. Son influence sur Notre Dame de l’Assomption dans le parc, œuvre de Jean Bauhain (1952), est notable : on retrouve l’utilisation de la courbe, le système autoportant, la façade ajourée ainsi que le clocher situé latéralement mais ici il n’est pas dissocié de l’ensemble, il est accolé à l’édifice. A l’intérieur, la nef unique est rythmée par des arcs paraboliques. On n’a pas de phénomène de transparence car derrière l’autel, un espace coulissant permet d’ouvrir l’église vers l’extérieur, pour accueillir un public plus nombreux lors de la saison estivale, le projet initial prévoyait aussi l’installation de gradins en plein air. On a donc un lieu de culte qui se tropicalise, même si tout n’a pas été réalisé.
On va lui demander de se charger de la nouvelle église Notre Dame de Royan et de son ensemble paroissal. Il est important de noter que lorsque l’on reconstruit, on ne se limite pas au lieu de culte, on s’occupe aussi du presbytère. Lorsqu’on observe le plan et la maquette la citation est très nette : on a un clocher dissocié, un plan en sablier et comme au Parc, une ouverture était prévue sur l’arrière . Mais ce projet n’a pas vu le jour. En effet, l’architecte, pris par des commandes dans différentes villes, va tarder à remettre son travail. Le nouveau maire reproche à ce projet son horizontalité . On se tourne vers Guillaume Gillet à qui la consigne est donnée de faire quelque chose de vertical “redressez la ville par la silhouette de l’église”. Bauhain conserve cependant le centre paroissial sur lequel le souffle brésilien est passé notamment au niveau des claustras.
Intérieur de l’église Notre Dame du Parc, Royan, photo AMS
Le temple protestant de Saint-Georges de Didonne, photo AMS
Cette influence de Niemeyer se retrouve aussi au temple protestant de Saint Georges de Didonne, construit par Paul Dremilly en 1951. On a le béton lissé; comme il s’agit d’un temple, on n’a pas de clocher, mais une croix monumentale, située à l’extérieur, dissociée de l’édifice. C’est caractéristique des aires d’influence. Un autre édifice remarquable est le marché central avec sa structure autoportante à la beauté plastique admirable. Il est à noter que lui-même devient un point de référence, avec son voile fin de béton (7 cm d’épaisseur), véritable prouesse technique des ingénieurs : il servit de modèle pour la construction du CNIT de la Défense et du cirque de Bucarest! Il reprend les mêmes points d’appui, les mêmes perspectives académiques de mise en scène architecturale.
Le rationalisme lyrique à Royan
Structures autoportantes et rationalisme lyrique
Dans cette ville tout est à réinventer. L’auditorium utilise une technique moderne avec sa coque en béton armé qui constitue une caisse de résonance. Il est véritablement à la fois du côté du Brésil et de celui,très inventif, de cette architecture balnéaire.
Un autre clin d’œil sur l’invention des formes est ce que Gilles Ragot nomme “ le rationalisme lyrique”. L’architecture rationnelle, ce sont les poutrelles de béton, ces structures que l’on met en place de manière très méthodique pour créer des éléments,qui sont très redondants, un peu comme dans un jeu de mécano. Le rationalisme lyrique, c’est ce dessin, ces courbes et ces nouvelles formes que l’on va inventer et que l’on va chercher chez l’ingénieur. Il s’agit d’une collaboration essentielle.
Auditorium, Royan, photo AMS
On est encore dans une influence très nette Brésil/Royan avec deux constructions très simples. La galerie commerciale Botton se distingue par ses courbes qui dessinent une ligne sinueuse qui rappelle la galerie Louis Simon (ancienne gare routière). Cette dernière reprend un dessin d’Oscar Niemeyer pour un restaurant-bar de Bello Horizonte. Dans les deux cas, on retrouve les petits piliers de métal bleus, très royannais. Le muret en pierre est très caractéristique des années 50. Ce n’est pas la façade rideau, toute de verre qui porte la structure, elle est trop légère, c’est le pilier central qui supporte le toit.
Galerie Louis Simon, Royan, photo AMS
L’héritage brésilien dans les techniques architecturales à Royan : le plan libre, le brise soleil et le claustra
Cette idée, un pilier, un toit, permet d’obtenir un espace libre; comme on n’a pas de mur porteur, on peut donner aux pièces tout l’espace que l’on souhaite. Cet habitat n’est pas destiné à être annuel, il a vocation à n’ être ouvert qu’aux beaux jours, et donc les caractéristiques de type brésilien vont parfaitement s’adapter à Royan. On observe en particulier, tout un jeu d’ouvertures qui va s’inscrire dans différents programmes comme la cage d’escalier ouverte sur l’extérieur, toujours très transparente, avec souvent l’absence de contremarche permettant de jeux de perspective. La transition entre intérieur et extérieur s’efface donc.
Un autre élément qui revient très souvent à Royan, qui est très travaillé, ce sont les brise-soleil. L’architecte crée une casquette dans les parties hautes, non pour créer des éléments d’ombre, mais pour couper la lumière et la diffuser. Cela donne des jeux sur la façade qui, de ce fait, prend de la profondeur alors qu’elle est plutôt plate. Mais les architectes ne vont pas se contenter de s’inspirer, ils vont aussi être inventifs. Marmouget, par exemple, va glisser le brise soleil dans des éléments courbes. Ce qui va être intéressant aussi dans cette appropriation, c’est le claustra, qui offre un espace intermédiaire entre intérieur et extérieur. Ses éléments, pré fabriqués sont mis en scène de manière très plastique, très graphique, très inventive qu’il s’agisse du rythme ou de son utilisation dans des formes courbes. En outre, le a une dimension utilitaire : il apporte un peu d’intimité aux grandes baies vitrées.
Claustra, villa centre ville, Royan, photo AMS
Villa 22 avenue Emile Zola, Royan, photo AMS
Pour aller plus loin :
Oscar Niemeyer en France : un exil créatif de Vanessa Grossman et Benoît Pouvreau (Auteurs) – Éditions du patrimoine
Oscar Niemeyer : 1907-2012, l’éternité devant l’aube de Philip Jodidio – Editions Taschen, 2016