Caspar David Friedrich,
Vendredi 17 janvier 2025Conférence de Fabrice Conan

Un parcours marqué par la mélancolie et la solitude
Caspar David Friedrich naît en septembre 1774 à Greifswald,ville située alors en Poméranie suédoise dans une famille de la petite bourgeoisie. Il part étudier la peinture à Copenhague qui est un centre artistique dynamique puis s’installe à Dresde. C’est un personnage tourmenté comme en témoigne son autoportrait fait aux alentours de 1800. Son enfance est marquée par la mort : entre 1781 et 1791, il perd sa mère, son frère, Johann Christoffer, (qui meurt en voulant lui sauver la vie), et deux de ses sœurs, Maria et Elizabeth. Ces deuils successifs le marquent durablement, il est sujet à des phases de dépression qui deviennent de plus en plus fréquentes à la fin de ses jours. Pourtant, c’est un peintre reconnu, il mène une belle carrière, ses œuvres sont achetées par de grands collectionneurs comme Frédéric III de Saxe. Il enseigne dans des académies importantes. Cet artiste à la vie solitaire et méditative se marie à 44 ans avec Caroline Bommer dont il aura trois enfants. A sa disparition, il a alors 64 ans, ses tableaux tombent dans l’oubli. Seuls, quelques grands amateurs le connaissent et en particulier les artistes symbolistes. Il faudra attendre l’exposition à New York sur le romantisme en 1959 et celle de 1972 à la Tate Modern de Londres pour voir réapparaître ses œuvres .
Des influences littéraires et philosophiques
Sa vision artistique est marquée par différentes influences : celle , tout d’abord, de la littérature typiquement nordique, tournée vers un panthéisme de la nature, dans la mouvance de cette époque. C’est un grand admirateur, en effet, des chants d’Ossian et de la poésie de la Baltique. Son éducation protestante très rigoureuse transparaît dans l’atmosphère spirituelle de ses paysages où la nature devient une source religieuse. Enfin, à une époque où tous les artistes effectuent le voyage en Italie, lui, s’y refuse, soucieux de préserver l’identité allemande de son art, il préfère s’adonner à l’étude des peintres du nord. Ceci apparaît dans des œuvres de jeunesse comme dans l’aquarelle, Hutte et puits à Rügen , 1802 avec la précision des détails. Mais en même temps, on voit, dès ses débuts, sa maîtrise des effets d’optique avec le premier plan plongé dans une semi-obscurité et au second le dégradé atmosphérique aux teintes bleutées qui donnent une profondeur.
Son approche artistique:
Ses différents écrits nous permettent de comprendre la manière dont il créait; il affirme ainsi que » le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui, s’il ne voit rien en lui, il cesse alors de peindre ». Ses paysages sont certes des lieux qu’il a observés, mais à chaque fois, il les recompose pour leur donner une force dramatique; c’est en cela qu’il est le fondateur de cette école romantique du paysage qui est en train d’éclore.
Très vite, il commence à produire des œuvres dans lesquelles les effets atmosphériques jouent un rôle majeur. Friedrich s’en explique ainsi dans ses notes : ’“un paysage enveloppé de brumes me paraît plus vaste, plus sublime, il anime l’imagination renforce l’attente semblable à une fille voilée, l’oeil et l’imagination sont généralement plutôt attirés par le lointain vaporeux que par ce qui s’offre aux yeux clairement de près”.La symbolique chrétienne est très forte : les brumes suggèrent l’éloignement de Dieu, l’errance de l’homme et confèrent mystère et sublime au paysage. Brouillard,1807, constitue un exemple intéressant. Le peintre nous invite à suivre le cheminement d’une barque vers un navire. Que dissimule cet épais brouillard? Nous ne pouvons le savoir. C’est une allégorie du voyage, du chemin de la vie . Dans la partie supérieure du tableau, apparaît une lueur, l’espoir d’un soleil qui va arriver ou annonce de sa disparition et voyage vers la mort. A chacun son interprétation. Une autre œuvre est aussi significative à cet égard, Un pèlerinage au soleil couchant (sépia, 1805) frappe par le profond mysticisme qu’il dégage : certes, la procession est présente, mais l’essentiel réside dans la force de ce paysage. Dans ses paysages très dépouillés, il représente parfois une croix, celle-ci est cachée dans la nature. Sa petitsse ne l’empêche pas de capter l’attention. Dans Paysage d’hiver avec église, 1811, elle est en partie dissimulée par des sapins enneigés. Parfois, on note une présence humaine, mais elle est souvent minuscule comme dans Matin sur le Riesengebirge (vers 1810-1811). Pour Friedrich, une œuvre ne doit pas être inventée mais ressentie, le point de départ, c’est le monde intérieur de l’ artiste .
Caspar David Friedrich, Brouillard.1807- Belvédère. Photo AMS.
Caspar David Friedrich, Pèlerinage au soleil couchant.1805 – château de Weimar. Photo AMS.
Quelques œuvres clés
Jusqu’en 1808, il utilise différentes techniques liées au dessin comme le pastel, l’aquarelle. Il se consacre à la peinture à l’huile pour la première fois avec le Retable de Tetschen (1807-8) . Celui-ci suscite des polémiques : ici, pas de Vierge ou d’apôtres manifestant leur souffrance. Le Christ, minuscule, représenté de dos, est tourné vers l’intérieur du tableau. L’acteur principal, c’est le paysage auquel le soleil couchant confère une luminosité toute particulière. Les rais de lumière, pour reprendre les propos du peintre, renvoient au “père éternel qui vivifie tout”. “La croix se dresse sur un rocher inébranlable comme notre foi en Jésus Christ, résistant comme les sapins toujours verts”. Ces derniers, symboles de l’Allemagne, sont un motif récurrent dans sa peinture. Une autre de ses toiles surprend le public: il s’agit de Moine au bord de la mer (1809). L’ascétisme de ce paysage lui est reproché, alors que c’est ce qui fait sa puissance. Le moine, la tête dans les mains, médite face à l’immensité, face à la puissance des éléments qui semblent sur le point de le happer. Ce thème rappelle le memento mori des Vanités du XVII e siècle. Le pendant de cette toile est Abbaye dans une forêt de chênes, les deux sont achetées par Frédéric III, roi de Saxe. On a ici deux thèmes particulièrement fréquents chez notre peintre . Tout d’abord, la présence de ces chênes aux branches noueuses, dépouillées de feuilles comme dans l’Arbre aux corbeaux, 1822, figures de l’état de l’humanité avant la venue du Messie. Ensuite, on retrouve aussi l’idée d’une méditation sur les ruines comme dans Ruine de la porte du couvent de Heilig Kreuz ou Cathédrale en ruines à Edlena vers 1825.
Caspar David Friedrich, Moine au bord de la mer. 1808-1810 – Charlottenburg. Photo AMS.
Caspar David Friedrich, Retable de Tetschen.1808 – Dresde. Photo AMS.
Caspar David Friedrich, Abbaye dans une forêt de chênes. 1809 -1810 – Berlin. Photo AMS.
Une des ses œuvres iconiques, un petit format, est Voyageur au-dessus de la mer de nuages 1818-20, tout à fait représentative du romantisme allemand. Un homme solitaire, de dos, aux cheveux roux (est-ce le peintre? ) est absorbé dans la contemplation des nuages depuis le haut d’une montagne. Au-delà de sa maîtrise des effets de perspective, le peintre insuffle, comme c’est souvent le cas, une véritable dimension existentielle. Bien que dominant le paysage, le voyageur semble lui-même absorbé par cette immensité. Friedrich suggère ainsi une méditation sur la place de l’homme dans l’univers.Cette toile va exercer une influence très importante sur les artistes à travers le monde.
Apparition d’une présence féminine dans plusieurs de ses oeuvres
En 1818, son mariage avec Caroline Bomme modifie quelque peu son œuvre. En effet,on note l’apparition d’une présence féminine. Celle-ci est toujours de dos qu’il s’agisse de Femme au soleil couchant, 1818, ou de Femme à la fenêtre, 1822. Elle apparaît aussi dans les Falaises de craie sur l’île de Rügen , 1818. A gauche du tableau, la jeune femme s’agrippe à des branches face à une falaise très découpée et très abrupte accompagnée de deux hommes. Tous les trois sont proches de l’abîme. Si les falaises aux reliefs très acérés peuvent avoir un aspect effrayant par leur immensité, l’artiste tempère cette impression avec la frondaison des pins qui confère une atmosphère circulaire au tableau. Au loin, les petits bateaux donnent l’idée du voyage, comme toujours d’un voyage intérieur, une méditation.
Réception et postérité
Si Friedrich a parfois été critiqué par certains de ses contemporains pour l’austérité de ses paysages, il a été aussi beaucoup admiré par des figures comme Goethe et les poètes romantiques. Il est le peintre de la solitude de l’homme face à l’immensité de la nature et a joué un rôle moteur dans la naissance d’une école romantique du paysage, influençant les générations suivantes. Novalis écrit à son sujet que “le repli de l’âme en elle-même, loin du monde, est un impératif moral (…) il nous faut retrouver le chemin < vers le paradis de l’âge d’or> hors du monde car ce chemin conduit vers l’intérieur. “ Ces silhouettes qui nous emmènent vers le fond du tableau incarnent le voyage du regard qu’il porte sur la vie, sur son monde intérieur.
Pour aller plus loin :
L’OEil de l’esprit Caspar David Friedrich et le romantisme allemand–Jean-Noël Bret et Laure Cahen-Maurel-2019
Caspar David Friedrich, Autoportrait.1774-1840. Copenhague. Photo AMS.
Caspar David Friedrich, Hutte et puits à Rügen.1802- Hambourg. Photo AMS.
Caspar David Friedrich, Voyageur au-dessus de la mer de nuages. 1818 – Hambourg. Photo AMS.
Caspar David Friedrich, Falaises de craie sur l’île de Rügen.1818 – Winterthur. Photo AMS.