Entre Premier et Second Empire, Stéphanie de Virieu (1785-1873), artiste en Dauphiné.
Vendredi 21 mars 2025Communication par Nicole Tamburini aux Amis des musées de Saintes

Sans le soin apporté par ses descendants à la préservation du patrimoine familial, l’œuvre et la vie de Stéphanie de Virieu auraient été à peu près gommés de l’histoire. Elle appartient à une époque où il ne sied pas à une femme de l’aristocratie d’exposer aux Salons, de concourir pour des commandes officielles ou de rechercher la notoriété. Seule l’étude de l’important fond de documentation et d’oeuvres de Stéphanie de Virieu conservé dans le Dauphiné permet de mettre en lumière cette figure originale de femme et d’artiste, qui dépasse très largement l’anecdotique talent d’une jeune fille de son rang, s’initiant aussi bien aux arts graphiques qu’à la musique ou aux travaux d’aiguille. Fait significatif, il est à noter qu’on ne connaît aucune peinture de fleurs de sa main, alors que c’est un domaine traditionnellement réservé au pinceau féminin.
Les Virieu voient leur filiation ininterrompue depuis le XIe siècle. La famille possède plusieurs propriétés dans le Dauphiné ; le fief de Virieu, perdu par alliance, ne sera récupéré qu’au XXe siècle. De ce fait, le principal domaine est le château et la terre de Pupetières, situés au dernier contrefort du massif de la Chartreuse. C’est là que voit le jour en 1754 François-Henry, comte de Virieu, le père de Stéphanie.
Marie-Emilie-Nicole-Stéphanie de Virieu naît à Saint-Mandé le 14 juillet 1785. Après elle, naissent Emilie, en 1786, puis Aymon, en 1789. C’est lui qui, plus tard, deviendra l’ami de Lamartine. Leurs parents ont une brillante situation à la cour; la grand-tante de Stéphanie, madame de Tourzel, est gouvernante des enfants de France. Au moment de la prise de la Bastille en juillet 1789, la petite fille, âgée de quatre ans, est emmenée par sa bonne qui court voir les têtes que l’on portait au bout des piques ; ce fut la première des images de cette violence associée à la Révolution et à la Terreur qui marqueront son enfance. L’approche des armées révolutionnaires entraîne la comtesse et ses enfants vers Genève, puis Lausanne, où s’étaient réfugiés bon nombre d’aristocrates français.
Il semble que l’artiste ait produit principalement des dessins et des lavis, souvent à la sépia, plus que des œuvres peintes. Ce sont surtout des scènes familiales ou mondaines que Stéphanie dessine ou peint à l’huile sur papier et qui donnent à voir une atmosphère chaleureuse, souvent joyeuse, qui permet de mieux percevoir la vie aristocratique pendant la première moitié du XIXe siècle.
Malgré une formation aléatoire qui la laisse insatisfaite, elle est une portraitiste talentueuse. Le château de Lemps, qui sera la demeure de la famille pendant près d’un quart de siècle, est le lieu où l’on reçoit le vicomte Alphonse de Lamartine, le marquis de Vignet, les comtes Joseph et Xavier de Maistre, le marquis Alfieri, etc. qui constituent ses modèles. Dans les Confidences, Lamartine appelle Stéphanie « le Greuze des femmes ».
Un Autoportrait décrit la jeune artiste ; grande, svelte, le teint éclatant, des yeux bruns admirables, une abondante chevelure noire, Stéphanie est jolie et ne manque pas de prétendants. Elle refuse tous les partis, pour prendre soin de sa mère d’abord, et parce que « le mariage n’est pas ma vocation », dit-elle à madame de Virieu.
Autoportrait Photo AMS. →
Elle réalise au moins deux portraits au lavis de Lamartine avant 1820. L’un des deux fut sans doute fait au Grand-Lemps quand le poète y passe l’été 1819, chez son ami Aymon, à mettre au point ses Méditations poétiques, publiées l’année suivante. Ce recueil comprend Le Vallon, célèbre poème écrit après ce même séjour, en juillet, durant lequel Aymon de Virieu entraîne son ami jusqu’au château de Pupetières, qui est alors en ruines.
Les thèmes évoqués dans les Méditations poétiques – souvenirs, regrets, désespoir, angoisse face à la mort – peuvent avoir inspiré certains dessins de la jeune artiste, comme La Mort et le poète.
Classicisme et romantisme se succèdent au gré des dessins inspirés par des figures héroïques sorties de Dante, de Berlioz ou de Schubert ; le style de certaines feuilles est plus proche de Girodet que de David. Les Martyrs de Châteaubriand inspirent également quelques œuvres de Stéphanie. Grande lectrice, elle s’imprègne des goûts de son époque. Elle dessine ainsi une tour médiévale en ruines, qui pourrait parfaitement illustrer un conte fantastique, dans l’esprit de Victor Hugo, de Charles Nodier ou de Théophile Gautier. Quelques scènes macabres montrent peut-être une appétence particulière pour les romans noirs, ou gothiques, un genre qui se développe dans toute l’Europe depuis la fin du XIXe siècle.
La rénovation du château de Pupetières devient spectaculaire quand le fils d’Aymon, Alphonse, confie les travaux à Eugène Viollet-le-Duc. L’intervention de Stéphanie dans les décors de la demeure familiale va surtout s’exprimer à travers la sculpture. Tout le grand salon a été conçu par Viollet-le-Duc ; la cheminée dessinée par l’architecte est inspirée des cheminées de chambre du XIVe siècle. Elle est ornée d’une fresque en pierre sur feuille d’or représentant le don de la fontaine del Clarel aux Chartreux par Jacques de Virieu en 1228. Le plâtre modelé par Stéphanie a été confié au grand architecte qui fit réaliser le bandeau en pierre par l’entreprise spécialisée Virebent frères et fils, basée à Toulouse, avec laquelle il a régulièrement travaillé.
La veine fantaisiste de l’artiste s’exprime dans une pièce dite « chambre des diables » à travers les peintures, tapisseries des fauteuils, rideaux et dessus de lit, sculptures et objets.
Dans un ton rouge vif, contrastant avec le fond peint en noir, courent partout des diablotins aux longues oreilles, à la grande queue, faisant mille cabrioles et dansant des ballets avec leurs piques et leurs tridents.
A une date imprécise, Stéphanie reçoit la commande d’un tableau pour le grand séminaire de Grenoble, Saint Vincent de Paul prêchant une retraite à des séminaristes , sur lequel figurent Alphonse de Lamartine et Aymon de Virieu. Se fixant enfin à Poudenas, dans le Lot-et-Garonne, elle y achève sa dernière composition, un Chemin de Croix, destiné à sa paroisse; la chapelle du château de Virieu en conserve les moulages.
Ayant traversé treize régimes politiques différents, triomphant des chagrins, des épreuves, des souffrances liés à des situations parfois tragiques, Stéphanie de Virieu fait preuve dans son art d’une sérénité qui témoigne d’une vraie noblesse de cœur, fidèle à la devise familiale, « Virescit Vulnere Virtus » (La blessure renforce le courage). Elle laisse un corpus de trois mille œuvres recensées, témoignage précieux de la vie de son temps. Elle était née quatre ans avant la Révolution française, elle meurt au matin du 9 mai 1873, sous la Troisième République, trois ans après la défaite de Sedan.
Nicole Tamburini
La chambre des diables, détail, photo AMS
Saint Vincent de Paul prêchant une retraite à des séminaristes, Photo AMS
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