« Duo, duel : Manet/Degas »

Vendredi 8 septembre 2023

Conférence de Stéphane Guégan, historien de l’art

Le musée d’Orsay nous offre un splendide « mano a mano » entre Manet et Degas, en mettant face à face, deux des acteurs de la nouvelle peinture, l’impressionnisme.
Deux portraits, Édouard Manet, Autoportrait à la palette , et Edgar Degas, Portrait de l’artiste , ouvrent l’exposition.

Les deux artistes sont nés à Paris, Édouard Manet le 26 janvier 1832, d’un père haut fonctionnaire au ministère de la justice, et d’une mère fille de diplomate. Edgar Degas, quant à lui, est né le 19 juillet 1934, son père est banquier. Ils sont issus d’une bourgeoisie aisée, qui ne les prédestine pas à embrasser la carrière artistique. Édouard échoue deux fois au concours d’entrée à l’École navale. Edgar abandonne très vite ses études de droit. Degas s’engage dans la voie classique de l’École des beaux-arts, laquelle n’a pas voulu de Manet comme élève.
C’est dans l’atelier de Thomas Couture, élève de Gros, peintre néoclassique et préromantique, tourné vers la peinture d’histoire que Manet fit ses premières armes. Il y rencontra sa femme, professeure de piano hollandaise, Suzanne Leenhoff. La musique joua un grand rôle dans l’iconographie des deux peintres.

Autoportrait à la palette. E. Manet, 1879. Coll. privée Steven A. Cohen. Domaine public via The Yorck Project

Portrait de l’artiste. E. Degas, 1855. Musée d’Orsay. Photo P. Schmidt, RMN. Courtesy of musée d’Orsay via Wikipedia

La période hispanisante de Manet est marquée par, entre autres, Le Chanteur espagnol , L’homme mort    . À l’origine ce tableau était une scène de corrida, où le taureau triomphait face à l’homme qu’il avait terrassé, mais face aux critiques, Manet décida de découper sa toile et de ne garder que le personnage, d’une puissance incroyable.

À signaler encore, Scène de Steeple-chase  , toile dans laquelle le jockey étendu au sol évoque irrésistiblement le modèle de Manet. Ce face-à-face autour du thème des courses illustre leur rivalité, peut-être aussi l’emprise de Manet sur Degas, qui va multiplier les scènes où l’on voit Manet. Il imagine, au champ de courses, une scène où l’on voit Manet flirter avec une jeune femme qui suit la course..

La manière, les couleurs, et les compositions de Manet restent marquées par la peinture ibérique. Ainsi, son célèbre tableau Le Balcon , s’inspire clairement des Majas au balcon  de Goya.

C’est dans Le Balcon, que Berthe Morisot fait pour la première fois son apparition dans l’œuvre de Manet : blancheur de la robe et des carnations qu’illumine un « noir absolu ». Ce tableau fit l’objet de virulentes critiques qui contribuèrent à sa notoriété, alors que Degas reste encore dans l’ombre.

La rencontre de ces deux géants de la peinture se fit, nous dit la légende, au musée du Louvre. Manet aurait été intrigué et attiré par l’audace de Degas qu’il aurait découvert en train de copier directement sur une plaque de cuivre Le portrait de l’infante Marguerite-Thérèse , de Velázquez, pour en faire une gravure. Cette légende contient une grande part de vérité quand on sait que c’est dans les salles de ce grand musée que tous deux se sont imprégné de la peinture des grands maîtres dont ils ont réalisé de nombreuses copies.

Le tableau de Degas, Monsieur et Madame Manet   , mutilé par Manet qui n’aimait pas la représentation de sa femme, est à l’origine de leur discorde provisoire, dont la complexité nous échappe.

C’est au Louvre que Manet réalisa une copie, en 1854, de la Vierge au lapin (1530) du Titien, qui  aurait abouti à la création plus tardive du célébrissime Déjeuner sur l’herbe .

La Vierge au lapin est une évocation d’un thème religieux, qui se déroule dans l’atmosphère maritime des environs de Venise. Un groupe de personnages, symbolisant la Vierge, l’enfant Jésus et Sainte Catherine, sont réunis autour d’un panier de victuailles, partageant un moment léger en pleine nature, scène paisible qui invite à la dévotion.

 

Le balcon. E. Manet, 1868. Musée d’Orsay, legs G. Caillebotte. Photo Institut culturel Google. Domaine public via Google Art Project.

Majas au balcon. F. Goya, c.1808. Coll. privée. Photo artehistoria. Domaine public via  Wikipedia.

Dans Le Déjeuner sur l’herbe , au premier plan, est représenté le contenu d’un pique-nique avec des fruits, un pain, des cerises sur un lit de feuilles et un panier de fruits renversé sur les vêtements du modèle, un habit bleu à pois. Le panier de victuailles est reproduit presque à l’identique dans l’un et l’autre des tableaux.

Olympia  de Manet, est inspirée de la Vénus d’Urbin du Titien, mais ici la Vénus est devenue une prostituée. Degas, quant à lui, s’est intéressé aux femmes nues, surprises dans des moments intimes. Le Tub, offre une vue plongeante sur le modèle accroupi, cadrage de ce qu’apportera la photographie, et fait écho au Tub  de Manet. Autre illustration de ce thème, l’énigmatique Intérieur qui du vivant de Degas s’intitulait Le Viol.

Olympia. E. Manet, 1863. Musée d’Orsay. Photo Google AP. Domaine public via Google Art Project

Vénus d’Urbin. Titien, 1538. Galerie des Offices, Venise. Domaine public via The Yorck Project

Le Tub. E. Manet, 1878  –  Le Tub. E. Degas, 1886. Musée d’Orsay. Photo AMS, de la conférence S. Guégan

En quête de modèles, Manet comme Degas peignent leurs familles, des scènes de la vie économique, sociale, des bistrots, des bordels, la modernité.
Ils furent l’un et l’autre au cœur des conflits de leur siècle, Guerre du Mexique, de Sécession, de 1870, des Communards, comme en témoigne L’Exécution de Maximilien  par Manet.
Ils se distinguèrent dans l’art du portrait féminin. Citons brièvement à ce sujet Berthe Morisot au bouquet de violettes  de Manet, tableau emblématique de leur histoire d’amour, et le magnifique tableau de Degas, La femme aux chrysanthèmes  où l’énormité du bouquet met en évidence le visage de la femme.

L’exécution de Maximilien. E. Manet,1868. Musée Kunsthalle Mannheim, Allemagne. Domaine public via The Yorck Project

Berthe Morisot au bouquet de violettes. E. Manet, 1872. Musée d’Orsay. Photo Google AP. Domaine public via Google Art Project

La femme aux chrysanthèmes. E. Degas,1865. MET museum, New York. Photo MET. Domaine public

 

Manet meurt en 1883. Degas meurt en 1917.
Cette exposition, unique en son genre, permet une contemplation comparative de ces deux monstres sacrés de la peinture, elle aura permis de voir des tableaux comme Le Repos de Manet  , sans doute l’un des plus poignants portraits de Berthe Morisot, et Nana  .

Jean-Paul BRISEUL

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