Le musée Hèbre nous fait voyager
Rochefort vendredi 7 juin 2024Le programme de la journée prévoyait deux moments forts : la matinée fut consacrée à une conférence sur la civilisation kanak et l’après-midi, la visite du musée Hèbre nous fit découvrir ses très belles collections.
La conférence fut animée par trois intervenants qui nous ont fait partagé leur passion, leurs expériences et connaissances : Jean-Paul Briseul, magistrat administratif honoraire, qui a servi dans le Pacifique en tant que Commissaire du gouvernement aux tribunaux administratifs de Nouvelle Calédonie et de Mata Utu, Roger Boulay, ethnologue spécialiste de l’Océanie qui a participé à la réalisation de « l’inventaire du patrimoine kanak dispersé » en collaboration avec Emmanuel Kasarhéou, actuel président du musée du quai Branly, et Claude Stefani, conservateur du Musée Hèbre et de la Maison Pierre Loti à Rochefort
Après avoir lu le préambule de l’accord de Nouméa (mai 1987) et nous avoir rappelé que la France a pris possession des îles de Nouvelle Calédonie en 1853, Jean-Paul Briseul a partagé avec nous son expérience en s’appuyant sur une série de très belles photos personnelles de visages, groupes, rites, fêtes, et danses kanak.
Ainsi Jean-Paul Briseul nous présenta-t-il un personnage tenant une hache cérémonielle, composée d’une pierre de jade poli, insérée dans un manche en bois orné de tressages de cheveux et de fibres naturelles, offert par une chefferie à une autre chefferie. Il ne s’agit pas d’un instrument sacrificiel, mais d’un objet d’allégeance qui deviendra un ostensoir sous l’influence des missionnaires.
Certaines traditions telles que celle de « la coutume » marquent la vie sociétale par des échanges d’objets, de discours entre chefferies ; les repas à base d’igname, ainsi que leur préparation, sont souvent l’occasion de partager et de fêter le clan.
Roger Boulay est l’auteur des « Carnets kanak – Voyage en inventaire de Roger Boulay » et fut un des commissaires de l’exposition du musée du quai Branly d’octobre 2022 à mars 2023. Cette dizaine de carnets d’aquarelles est le fruit de l’inventaire exhaustif de tous les objets kanak se trouvant dans le monde, mission demandée par J.M. Tjibaou en 1984, qui prit fin en 2013.
La première exposition des objets récoltés eut lieu à Nouméa puis dans l’ancien musée des arts africains et océaniens, Porte Dorée à Paris. Actuellement, le musée du quai Branly en possède la plus grande collection.
Victime de la colonisation puis de l’évangélisation, la population kanak a été mise en réserve dès 1853, avec interdiction d’aller dans les forêts ; cela eut des conséquences dramatiques sur cette société d’échanges, attachée à ses traditions dont celle de la sculpture sur bois.
Les principaux objets inventoriés concernent essentiellement la décoration de la Grande Case, lieu de rencontres de la communauté : les appliques de montants de porte, les flèches faitières sont l’expression de croyances.
Un travail de datation, de décryptage des significations, d’étude de l’évolution stylistique a permis de constituer un corpus irremplaçable. Même travail de recherches pour les masques, les armes, les haches ostensoir, les « monnaies », les pierres à magie.
L’évolution de la sculpture sur bois correspond à une demande du marché de l’art dès le début du XXème siècle. Ainsi, la production des années 1920-1930 a-t-elle suivi les critères « du bon ou méchant sauvage », définis par de nombreux artistes occidentaux, et cela se retrouve sur les appliques destinées à orner les montants de porte de cette époque, aux visages grimaçants et terrifiants et qui n’ont rien de commun avec les appliques anciennes.
Claude Stefani nous a présenté rapidement le Musée Hèbre, rouvert en 2006 après des travaux de rénovation. La Galerie Lesson a gardé son nom d’origine, mais toute la scénographie a été repensée. Celle-ci rassemble de très belles collections kanak, indienne, africaine, australienne, évocation des colonies françaises ; la série kanak résulte de la collecte réalisée lors des voyages de grands explorateurs rochefortais, les frères Lesson. Cet ensemble d’objets kanak est désormais présenté dans un lieu dédié, comme témoignage de cette population et de sa culture.
L’après-midi a été consacrée à la découverte du musée Hèbre et des collections en lien avec le sujet de notre visite.
Claude Stefani a retracé l’histoire du musée, crée vers 1860 sur la base de la collection Faloci, enrichie par celle des frères Lesson, médecins et botanistes rochefortais ; tous les objets ont été rapportés d’expéditions militaires et scientifiques (l’anthropologie est à ses débuts), dont celle que fit Pierre-Adolphe Lesson sur l’Astrolabe avec Dumont d’Urville. Ce musée abrite également un ensemble d’œuvres aborigènes, le second plus important de France après le musée du quai Branly.
Une partie des salles est consacrée à des objets provenant d’Océanie, d’Afrique, d’Asie, tels que des panneaux de bois peints, des massues, des paniers, des colliers dont un très bel exemplaire en jade .
Roger Boulay nous a ensuite présenté la collection kanak, dont chaque objet sculpté est empreint de l’évocation des esprits des ancêtres: une applique de tour de porte, des masques, des flèches de faitages, et puis des armes, des « monnaies » (petits rouleaux de tissus garnis de cordons où sont enfilés des petits os de roussettes ou de petites perles, qui se donnaient lors des échanges), diverses poteries.
A partir d’une maquette Roger Boulay nous a expliqué la construction de la Grande Case, maison circulaire cérémonielle, sacrée, construite en bois, telle un chapeau pointu posé sur un tertre, et souvent opposée à une case plus petite ; sa réalisation entraine des fêtes dans le village, comme celle qui accompagne le cheminement des fûts des arbres le long d’un trajet établi.
Une dernière découverte nous attendait avec une série d’œuvres aborigènes, reprenant des motifs et des codes traditionnels, collection présentée par un médiateur culturel du musée passionné par son sujet. Les peintures modernes peintes sur toile à l’acrylique avec des milliers de points de couleurs aux teintes naturelles de la terre et du sable (ocre, terra cota, brun, noir), symbolisent une danse sacrée; autrefois dessinés sur le sable, ces motifs expriment une partie de l’histoire d’un individu .
Un très bel ensemble de peintures australiennes sur écorce de la Terre d’Arnhem termine notre périple dans ces civilisations lointaines L’art aborigène est lui aussi un art sacré, dans sa conception du monde, un reflet des croyances, un «temps de rêve » où passé, présent, futur sont totalement imbriqués.
Ce fut un dépaysement total, très riche et intéressant. Cette journée a permis à notre groupe de réaliser que l’art en tant que mode d’expression d’une société et de sa vie quotidienne, de ses rites et croyances, est un langage essentiel pour connaitre et comprendre un peuple ; comme l’évoquait le titre de l’exposition de 2013 au quai Branly : « l’Art est une parole ».
Bibliographie :
- Kanak-l’Art est une parole. Catalogue collectif Octobre, 2013-Coédition Musée du quai Branly.
- Carnets Kanak. Voyage en inventaire de Roger Boulay. Edité en 2020 par les éditions du Musée du quai Branly.
- Henri Marchal, Roger Boulay et Emmanuel Kasarhéou, De Jade et de nacre, Patrimoine artistique kanak, catalogue de l’exposition au Musée national des arts africains et océaniens et au Musée territorial de Nouvelle-Calédonie, Paris, Réunion des musées nationaux, 1990.
Hache ostensoir-art kanak-musée d’Angoulème-via Alienor.org
Pendentif en jade et objets océaniens – Musée Hèbre Rochefort – Photo AMS